La tragique parabole du complot : Les trois crises de la connaissance

Au su de tous trônait la tromperie des sens. La raison remportait une victoire, sa victoire, en arrachant au réel le drap des sensations pour l’exposer nu, à sa plus simple expression. Vu comme « progrès » de l’entendement humain, comme une marque de la sortie de l’animalité, portée au pinacle par la propagation de l’instruction pour tous, l’institution de la raison accouche de ses dysfonctionnements. Elle produit des mensonges ou des faux-semblants tout en se persuadant, comme par un retour des sens, ou en se convaincant dans l’orthopraxie rationnelle, que la vérité y réside. Ce qui pose, profondément, une question épistémologique qu’aucune philosophie- Descartes à Russel en passant par Kant et Hegel- ne tranche en toute unanimité : ce qui fait qu’une connaissance est vraie, ce qui fait qu’une connaissance n’est pas qu’une croyance tenue pour vraie.

 

Les imbéciles heureux de Jules Renard

Crise du savoir

La pandémie virale débutée en fin d’année 2019 jette une lumière crue, cruelle sur la débauche pantagruélique des connaissances et sur l’incapacité subséquente de ce labyrinthe des savoirs en mutation perpétuelle de déboucher sur une solution.

« Entendez-vous la clochette ? Agenouillez-vous. On apporte les sacrements à ce Dieu mourant » écrivit Henri Heine1.

Dans ces affres de noirceur, le point le plus ténébreux reste les conséquences désastreuses de l’étude du Lancet du 22 mai 2020. Retirée dès le 4 juin de la même année, sur demande de trois des co-auteurs de l’étude, elle achève de discréditer une médecine encore relativement à l’abri -mais les lézardes du Médiator ou de la crise américaine des opioïdes ne sont pas loin- du torrent de l’incertitude et de l’irresponsabilité. On ne mesure pas encore tout à fait les dommages sur le rapport à la vérité, au raisonnement dialectique et aux protocoles scientifiques d’une immense partie de la population. Elle a eu un impact plus destructeur sur la raison que quarante ans de mensonges en politique.

Internet, cette dimension des contraires, jette cette question dans son empyrée charybdien, avec son informel et accidentel secret de faire du chaos informationnel la proue de son vaisseau. Le trop plein de données explose en une métamorphose par vagues, toujours plus d’informations se surajoutant au vase empli à raz-bord des accumulats précédents. Tous les acteurs publics et privés tirant à eux la couverture de la vérité au point d’éclatement, plus rien n’apparaît avoir de signification logique sinon celle que l’on est soit même en mesure de dégager, pour se dégager de la gangue ineffable du tsunami d’éléments disparates jetant son écume à qui veut bien la recevoir.

D’autant que, plus aucun domaine de la connaissance n’échappe au joug de l’expertise, qui arrive à un point où elle nie le politique dans la logique gestionnaire qui embrume désormais nos institutions. Cette expertise qui s’accapare en acte la phrase de Wittgenstein dans le Tractatus Logico-Philosophicus : « Sur ce dont on ne peut parler, il faut garder le silence ». Or si cette expertise ne doit en aucun cas être rejetée pour ce qu’elle apporte, une porte vers de nouvelles réflexions et des conseils d’action, son envahissement croissant laisse à voir un monde où l’action n’est plus possible, où l’impuissance étend sa loi, flouant la ligne de démarcation entre l’acte d’élaboration et l’acte de décision. Pour les autres, ne reste que les corridors de la méconnaissance, les fleuves enterrés de la navigation à vue : circulez, il n’y a rien à savoir !

L’atomisation de la vérité, la fragmentation du réel qui s’en suit poussent au retranchement les réfugiés de la connaissance qui n’en peuvent plus de ne pas savoir, de ne plus pouvoir savoir là où l’on doit savoir.

Comme le monde était doux quand on ne savait !

Ô, que les ignorants doivent être heureux !

Car plus aucune parole n’a de certitude quand de minute en minute elle se voit contrecarrée par le miel d’une autre sans doute aussi convaincante, sinon plus, avant d’être elle-même croquée par l’appareil masticateur d’une parole tierce. Dans son épuisement épistémologique, ce qui est et ce qui devrait être, ce qui est et ce qui pourrait être se mélangent dans l’amas de gravats danaïdésique qui signe, définitivement, que l’esprit réclame des certitudes qu’un monde sans idéologies ne lui offre plus. De la méconnaissance suit la paralysie, il n’y a plus de solutions puisque plus rien n’est certain, car comment agir quand le savoir n’existe plus ? Savoir faire n’a plus d’importance, les savoirs-faire ont vécu et tout conduit à l’impuissance.

Toujours, chacun se réfugie dans ses représentations, ce tiroir prêt à l’emploi sans lequel il n’est nulle société. D’aucuns se disent que puisqu’il n’y a aucune connaissance vraie-car tout peut être faux- il est vain de chercher la vérité : on ne sait rien d’autre que l’on ne sait rien, poussé à son extrême retranchement du monde, dans l’isolat du quotidien déjà à peine maîtrisable : cherchons déjà à survivre dans l’ouragan du monde contemporain, soyons insignifiants au point de ne plus souffrir de la compréhension. Une anti-phénoménologie, si l’on peut dire.

Ô, que les ignorés doivent être heureux !

 

La fable des poliorcètes

Crise du discernement

Qu’on se le dise, votre serviteur n’est pas un adepte du pyrrhonisme2 prêt à tenter la mort pour prouver qu’elle n’existe pas ! Il est bien des connaissances vraies et toute parole prenant quelque puissance -institutions publiques, entreprises, associations, figures d’autorité- n’est pas marquée du sceau de l’infamie. Non plus que d’autres sources du savoir, par ailleurs. C’est leur multiplication et leurs collisions incessantes qui sont problématiques, non pas en soit, car de la confrontation, de la discussion et de l’opposition peuvent naître de fécondes boutures, mais l’incapacité d’en traiter l’ensemble, de trier, de classer ses éléments, brièvement dit de se dresser face à cette masse engloutissante.

D’autres se cajolent dans la production et l’interprétation institutionnelle du savoir, dans la parole publique, dans le mouvement des ensembles structurés, encore faut-il que leurs paroles le soient. Ils méprisent ceux qui refusent cette parole, quand ceux-là leur rétorquent qu’il faut bien être un pigeon malodorant pour croire à ces sornettes. De forfanterie en billevesées, les tranchées se creusent, les murs s’érigent et la dimension du savoir passe dans le registre du champ de bataille, un blockbuster stéréotypé où la seule nouveauté est la couleur de l’explosion attendue et anticipée-able.

Un duel d’onagres manipulatoires projetant complots sur complotismes.

A ceux-du-refus, la convention attribue le nom de complotiste ou de conspirationniste car derrière l’apparent, ils revendiquent qu’il se trame un dessein. Rien n’est laissé au hasard, le réel se dresse telle une ziggourat de manœuvres infinies. On devrait en toute scientificité les classer dans le clade des diétrologues, ceux qui pratiquent le domaine alchimique de la diétrologie -alchimique car on est dans une échelle proche de la dinguerie- celui qui étudie le vice caché de toute chose. Pour eux, les conventicules secrets sont les hauts lieux de la causalité, finalement les seuls instants qui comptent : ceux qui s’y trouvent sont libres, ils y asservissent le reste en mijotant les plans les plus spectaculairement invisibles, les plus ridiculement complexes.

Le complot représente la portée réelle de tout acte, le moindre clignement oculaire, l’infime déplacement digital, une forme évanescente devant la caméra, et voilà que l’on découvre le sens caché derrière le sens avoué. Puisque le Diable se cache dans les détails, ils s’assurent qu’aucun ne leur échappe. On ne sait jamais, on pourrait y apercevoir quelque corne, quelque sabot, qui à n’en pas douter, incarnerait l’allégorie ovine du machiavélisme le plus pur. Il y a après tout une certaine cohérence à chercher dans la probatio diabolica une intentio diabolica.

Qu’on s’entende, les cabales, manipulations, coteries et complots en tout genre existent de toute éternité humaine. Considérer le complot comme une fable est naïf, le réel comme un complot, affabulatoire. Mais dans la guerre à la mode de Falkenhayn, aucun juste milieu ne vit plus, seul le no man’s land croît encore.

Pour désastreux et terrible qu’il soit pour la common decency, cette sagesse populaire qui saisit encore les Hommes aux vertèbres les plus solides, le complotisme s’explique. Il est des causes injustifiées comme il est des causes justes. Il s’explique car il répond à une quête de sens dans un magma qui n’en donne plus.

Analysons-le un peu. Il représente une multiplication anarchique de la croyance dans le domaine du savoir. Phénomène qui conduit inévitablement à un royaume d’illusions et aux plus grandes déceptions, la douche froide version ère glaciaire. Un discours ne sachant plus distinguer la quête de la connaissance vraie et la connaissance tenue pour vraie. Le complot mixe deux champs que la raison avait pourtant décidément séparé : le croire et le savoir. En d’autres termes, l’idée du complot présente comme ordonnancement de connaissances un embranchement du domaine de la foi.

Une croyance sous une forme superstitieuse, c’est à dire qui trace un lien de causalité entre un objet premier considéré comme cause, et un objet second vu comme conséquence alors que ce lien de causalité n’existe pas.

Que la croyance règne sur le croire, rien de plus normal : on attend d’un effort de pensée spécifique qu’il gouverne son domaine. Que le savoir et le croire s’affrontent ne surprend pas non plus. L’imperium ecclésiastique romain sur les esprits a donné lieu en Europe à de multiples conflits de ce genre, qu’on pense au plus célèbre, la lutte entre géocentrisme biblique et héliocentrisme empirique.

Nous n’en sommes plus là, plus au temps des batailles rangées des « croyants contre les sachants » ou inversement. L’observation donne à voir une métastase du croire dans le savoir, une croyance qui continue de se faire passer pour ce qu’elle n’est pas, un savoir, et considérée comme une connaissance vraie -comme tout croyance- par ses affiliés.

Parce qu’il doit y avoir un sens, parce que la raison agit, ce qui se produit est nécessairement le fait d’une action volontaire, réfléchie, et in fine, intéressée. Peu importe par ailleurs que le projet fantasmé soit trop vaste pour une poignée d’Hommes, qu’il dépasse la somme des capacités d’agir et de penser des individus comploteurs, que la transmission de génération en génération du complot doive se faire sans aucune fausse note, ce qui se produit cache des choses qu’il faut découvrir. L’intérêt seul guide le monde, et tout est calculé. Contrairement à ce que l’improbabilité- rabaissant parfois les dires au saltimbanque de foire- de leur propos suggère, les adeptes du conspirationnisme sont des rationalistes extrêmes qui affirment pousser la raison à son paroxysme en dégageant la raison influente, la raison manipulatoire, d’ensembles hétéroclites d’actes et de paroles. Convaincus que cette raison trace, en arrière-plan, une matrice parfaite au service de quelques-uns, ou simplement au service de l’abrutissement des masses. Dans leur Manichéisme contemporain, ils incarneraient les purs qui se débarrassent du mauvais, en un sens, par une homophonie contemporaine assez cocasse il faut bien le dire, ils se seraient dégagés du bôlòs3 eschatologique de la réalité par leur recherche systématique de la substance instrumentale dans chaque chose, des rouages véritables du réel dans une chape métaphorique de béton mythomaniaque. Voilà qui dévoile l’éthique poliade de ces « complotosophes ».

N’en déplaise aux plus moqueurs, si imbécile, si capillotractée, si loufoque semble l’hypothèse-qui n’en est pas une pour le croyant au complot, c’est une vérité- son renversement dialectique est une tâche des plus épineuses, ainsi que le saisi la loi d’asymétrie de Brandolini : «  la quantité d’énergie nécessaire pour réfuter des idioties est supérieure d’un ordre de grandeur à celle nécessaire pour la produire ». Cette difficulté argumentative poursuit toute discussion de sa malédiction : réfuter un complot prend un temps considérable sans nécessairement être efficace- car le croyant, même sous les œillères du savoir n’est pas aisément convaincu, c’est toute la force de la croyance- ne pas le réfuter semble prouver à l’Homme du complot que ce qu’il dit est la vérité brute, ce qui ne fait que renforcer sa croyance.

Le doute méthodologique si prompt dans l’esprit cartésien invoque là sa tare, celle d’une mutation en doute psychologique, bientôt presque maladif, qui s’empare de l’esprit et en fait sa citadelle. Puisque tout semble faux, alors rien n’est vrai. Ce que l’on pourrait ériger en maxime sur les fanions crénelés de l’esprit occupé.

Deux hallebardes en biais y montent la garde.

Le premier biais découle de la combinaison de l’individualisme moderne, qui persuade que tout être recherche sa propre autonomie, et d’une forme de proactivité très bakounienne, entrepreneuriale : le monde ne changera pas seul, faites-le. Ou du moins, dites que vous prétendez le faire discursivement.

Il en va parfois d’une certaine naïveté politique et d’une vision utopique qui en découle. Le second biais est d’en appeler à la vertu des petits contre les grands, pour schématiser.

Derrière, c’est l’idée que le pouvoir, plus largement toutes ses sources, dégouline d’une corruption. Cela implique de penser, en partie, que les intérêts des Hommes transparaissent totalement à travers les institutions, sans que ces dernières aient implicitement, par des mécanismes holistes, une intention propre de voir prospérer leur domaine-notamment de compétence. Il faut ici revenir méditer l’histoire du roi esclave Eunus, qui lors de la Ire Guerre Servile en -200 fit régner la terreur en Sicile4. Les rapports d’intérêt se glissent, comme les rapports de force dont ils ne font que décliner le raffinement, à toutes les échelles, dans toutes les strates. L’univers du complot ne s’en exempte pas, la parodie, l’appât du gain ou du pouvoir sur une petite chapelle de fidèles y sont tous trois présents. Se présenter comme un messie révélant les connaissances vraies puis incarner le rédempteur punissant les corrompus y est un puissant levier d’ingénierie. La communauté des cacochymes fait nombre lorsque le pérorant d’hier se fait le roucoulant d’aujourd’hui.

Ces ventilateurs qui nous gouvernent

Crise du politique

C’est que, derrière le complot, se loge une critique explicite du pouvoir politique, ou devrait-on dire, des lieux institutionnalisés du pouvoir collectif. Notamment dans la bouche de leurs représentants.

Refuser la parole publique, c’est refuser les décisions qui en sont la cause, c’est refuser les Hommes qui les prennent. Il y a surréaction dans la défiance, tout refuser en bloc, c’est refuser le politique tel qu’il est devenu, surtout tel qu’il est incarné, bien plus que le politique comme essence.

La transformation du politique de passeur de l’avenir commun à une technique de gestion dans une nation démocratique relève d’une déchéance et d’une sortie du politique de son domaine. Le politique dysfonctionne, comme institution emplie de représentations de lui-même, au point de changer de domaine, de le restreindre à la seule administration des choses, alors qu’il vise, au premier chef à donner un horizon à la collectivité, au corps politique. Ce refus du fardeau de l‘imperium, d’assumer la responsabilité du pouvoir, d’administrer sans gouverner confine à la même impuissance d’action que l’obsession du complot. Celle-ci découle de la synergie de la crise du discernement et de la crise politique. Une même cause, un même point d’appui pour deux errances opposées, l’une prétendant faire pièce aux machinations de l’autre-la discursivité complotiste-, qui de son côté met un point d’orgue à combattre ce complotisme dont il contribue à la prospérité.

Dans ses effets concrets, la croyance dans des ensembles plus au moins vastes de complots se dévoile -bien qu’elle soit en germe en raison des difficultés croissantes de l’instruction publique- en réaction à l’impuissance qui transpire du politique. Comme a pu l’écrire Jean Jaurès, à propos de la Législative (1791-1792) dans le tome 2 de son Histoire Socialiste de la France Contemporaine :« L’assemblée semblait avoir perdu toute vertu de décision et ses décrets étaient purement négatifs ».

L’incapacité du politique à sortir le pays du marasme, à donner une voie d’avenir au corps politique, cette impuissance suscitée, en fait un refus de la souveraineté dans ses attributs de puissance et d‘imperium, questionne la légitimité des institutions à accomplir les tâches pour lesquelles elles furent crées. Cette vacuité de la raison d’être remet en question la monopolisation de la médiation du pouvoir par les partis de masse tels qu’ils se sont développés au XX e siècle, plus généralement, exhorte à des procédés de re-légitimation de l'(in)action politique, des contre-mesures justifiant de la conduite des affaires publiques telle qu’elle s’opère depuis, graduellement, cinquante ans. Comme le dit le personnage du financier d’Empire à Bouteiller dans les Déracinés5 :« La politique n’est pas besogne de philosophe, ni de moraliste : c’est l’art de tirer le meilleur parti possible d’une situation déterminée ».

D’où un surinvestissement du discours politique, le recentrage de la communication comme matrice de gouvernement qui dans un contexte d’impuissance généralisée, fait de l’annonce le déterminant des campagnes et de tous les procédés électoraux. Ce tissage discursif réalise une toile autonome, comme une réalité alternative, vraie dans le champ propre du discours mais fausse par ailleurs. Cette tapisserie de phonèmes et de typographes se resserre à mesure que la succession des déceptions électorales met en lumière l’impuissance consentie du politique à accomplir ses tâches. La fuite en avant demande plus de discours, s’il ne fonctionne pas, c’est parce qu’il n’y a pas eu suffisamment de discours, qu’il ne fut pas à la hauteur de la mobilisation attendue. Le politique se réduit au champ de l’explicatif, et l’on ne compte plus les « nous n’avons pas été assez clairs », « nous n’avons pas suffisamment expliqué »… L’aération parle à ses ahuris désignés.

L’empilement du discours termine en cacophonie, puisque tant la majorité que l’opposition suivent la même démarche opérative, et que le mot maladroit ou obscur donne lieu à un contre-discours de révision. Les décisions-quand il y en a- ne sont plus lisibles, l’ensemble du discours publics finissant par plonger dans les hypogées des légions sans fin des informations contradictoires.

Cette décadence -car l’impuissance en est bien une pour un domaine de l’action- aboutit à la catastrophe, en deux conséquences remarquables.

D’abord, la constitution d’une dimension parallèle du discours- lorsque le discours sécrète sa propre réalité dans laquelle ce qui est dit est vrai- comme geôle nécessaire et consentie du politique sépare les gouvernements qui y vivent des gouvernés qui la subissent. La maille étanche de la parole, du moulin à vent permanent des cordes vocales surannées des dépositaires des fonctions de pouvoir vient en opposition à toute autre médiation : comprendre la rhétorique gouvernante c’est comprendre les gouvernants. Ne rien y comprendre relève pour eux de la bêtise, en fait plus probablement, du fait qu’ils n’en ont eux même aucune idée. Marche sur la tête, que je voie comme tu roules !

Ensuite, certainement bien pire, l’on constate avec tristesse et gravité la rupture progressive de la confiance des citoyens envers leurs institutions, pour les cas les plus graves, la rupture des nationaux avec leur nation. La crise délétère de la confiance-forme récente de l’honneur des temps anciens- achève la défaite de la raison déjà perdue en rase campagne. Car le discours ne produisant aucun des effets annoncés, toute promesse étant brisée, le discours politique repose sur l’hypocrisie et le mensonge, n’est qu’alizé organisé.

Monstre gramscien, le complot vise à terrasser le discours politique par la production d’un contre-discours tout aussi vide que la discursivité politique, tout aussi impuissant à expliciter le réel. La danse finit dans la farce, en une joute stérile. A un discours officiel, institutionnel, produit pour compenser l’effacement du politique, répond un discours fantasmagorique s’opposant à toute vérité considérée comme convention et lui oppose un modèle se présentant comme soit disant de « sagesse populaire » de « bon sens », mais également fictionnel sinon plus que le discours politicien. L’un et l’autre sont concomitants parce qu’ils existent pour la même cause : l’impuissance. Deux faces d’une même pièces au secours de l’angoisse du dépassement par les événements.

Les deux visages de l’impuissance se fondent dans le mépris. Car tous les épris du discours, les prisonniers de la parole venteuse, s’enorgueillissent du privilège le compréhension : les uns dans un paternalisme suranné, les autres dans l’arnaque de la double-vue de derrière les fagots. Ensemble, les pédagogues de l’abrutissement et les abrutis de la pédagogie se rassemblent en une grande farandole du grotesque. A opposer les bon sens, on en perd le Nord . Nos limitations techniques soient louées pour contenir ces Cathares égarés aux trois axes de la géométrie euclidienne : dans l’espace, personne ne nous entendrait crier !

Dans les effusions chaotiques d’informations se noue un conflit de vérités par la fiction.Le jeu du discours contemporain construit un ordonnancement qui agit comme sa propre limite, un raisonnement circulaire dressant la délimitation de son domaine dans lequel le discours porte sa vérité. En prenant comme axiomes les données que le discours se fabrique et qui forme sa propre base, la conclusion dudit discours ne peut qu’être vraie. En un sens, le complot absout la vérité de l’absolu, la fait entrer dans le corps de la relativité et ne souffre plus d’aucune notion de falsifiabilité chère à Karl Popper. Une épistémologie de l’artificiel qui éloigne gouvernés comme gouvernants d’un réel qui ne les intéresse plus, mais qui ,lui, s’intéresse à eux. Les relents méphitiques d’un virus surgit des tréfonds sonnent un tocsin glaçant racontant qu’on ne sort de l’histoire qu’en lui cédant son dû.

 

Killian Schwab


1 Histoire de la religion et de la philosophie en Allemagne, livre second

2 Du philosophe grecs Pyrrhon d’Elis, un des premiers représentant du scepticisme ancien.

3 Dans le Manichéisme -du prophète Mani du IIIeme siècle- le bôlòs renfermera, après le jugement dernier du Christ, les damnées de la matière, considérée comme mauvaise par essence, ceux qui refusèrent la combustion du monde pour aller dans le monde spirituel. Le bôlòs prend la forme d’une sphère colossale hermétiquement scellée de laquelle on ne peut jamais sortir, et à laquelle tous les êtres sont destinés, à moins qu’ils ne suivent les prescriptions ascètes et antiréalistes du Manichéisme.

4 Eunus était un esclave originaire d’Apamée en Syrie. Prestidigitateur et prétendant avoir des visions, il se fit le chef de la première révolte des esclaves en Sicile, totalisant plusieurs dizaines de milliers d’Hommes (Première Guerre Servile). Disant recevoir des visions et paroles divines, il se proclama roi sous le nom de « Antiochus », prenant inspiration sur la dynastie diadochéenne des Séleucides. La révolte prit le contrôle de la vaste majorité de l’île, tuant tous les propriétaires, maîtres d’esclaves ou non, enfants compris, sur leur passage, réduisant à l’esclavage à leur tour les forgerons d’armes. La répression militaire romaine, menée par les consuls Lucius Piso et Publius Rupilius s’avéra par la suite d’une brutalité extrême…

5 Les Déracinés, Maurice Barrès

0 0 votes
Note de l'article
S’abonner
Notifier de
guest

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

0 Commentaires
Inline Feedbacks
View all comments