Notre-Dame des Landes, le mauvais exemple

Si vous voulez faire pleurer un souverainiste, rappelez-lui le vote perfide du Congrès début 2008 permettant la ratification du traité de Lisbonne, enterrant en même temps le « non » au référendum de 2005. Pour ne pas aider au deuil, la classe politique française remue régulièrement le couteau dans la plaie en s’asseyant sur diverses décisions populaires lors de référendums locaux. Citons le référendum de 2013 sur la collectivité territoriale d’Alsace bafoué par la création au 1er janvier 2021 de l’horrible Collectivité Européenne d’Alsace[1], les multiples référendums pour l’indépendance de la Nouvelle-Calédonie ou encore… le référendum de 2016 pour l’aéroport de Notre Dame des Landes, projet finalement abandonné en janvier 2018. Pourtant, à s’y pencher de plus près, ce référendum n’est peut-être pas le plus parfait exemple à prendre pour crier à l’atteinte à l’expression démocratique.

L’objet de cet article ne sera pas d’argumenter sur le bien-fondé du projet. Pour ceux qui   aimeraient en savoir plus sur la critique du projet, nous ne pourrions que conseiller le livre de François Verchère « Notre-Dame des Landes, la fabrication d’un mensonge d’Etat». Non, il s’agira de se pencher sur deux aspects qui semblent problématiques quant à la légitimité démocratique de ce référendum : le périmètre géographique retenu et la pertinence même d’un tel référendum.

 

Un périmètre géographique trop limité

Rappelons que seuls les électeurs inscrits en Loire-Atlantique furent appelés à se prononcer. Normal, vous direz, le projet étant sur ce département. Oui, mais non.

D’une part, le financement du projet prévoyait, sur les 561 millions d’euros totaux de budget, une participation à hauteur de 115,5 millions d’euros de la part de diverses collectivités territoriales dont les régions de Bretagne et des Pays de la Loire[2]. Par ailleurs, le Syndicat mixte d’études de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes en charge de porter le projet, crée en 2002 et prolongé par le Syndicat mixte aéroportuaire de Notre-Dame des Landes en 2011 regroupait 20 collectivités locales de Bretagne et de Pays-de-Loire[3]. Deux faits qui prouvent que le projet n’avait pas qu’une ampleur départementale.

D’autre part, le département de Loire-Atlantique ne correspond pas du tout à la zone de chalandise de l’aéroport. Dans un document présenté par Vinci le 10 juin 2015[4], il est indiqué que la zone de chalandise de Nantes-Atlantique s’élève à 8 millions de personnes, dans une zone allant de Brest à Tours d’ouest en est et de Cherbourg à l’Estuaire de la Gironde du nord au sud. Si on peut soupçonner Vinci de gonfler la zone de chalandise actuelle pour promouvoir un projet où il avait quelques intérêts, rappelons tout de même que Nantes Atlantique est à 1h de route d’une zone couvrant une partie du Morbihan, de l’Ille et Vilaine, du Maine et Loire et de la Vendée.

Retenir uniquement la Loire-Atlantique comme zone pour le vote n’avait donc pas réellement de sens. La question qui suit tout de suite après : cela aurait-il changé le vote ? Impossible de  se prononcer définitivement. Reste que les rares sondages réalisés sur une échelle plus grande que le simple département de Loire-Atlantique et les résultats du vote au sein-même du département peuvent  nous laisser penser que oui.

Concernant les sondages, celui réalisé par l’Ifop en avril 2016[5] pour le compte de l’association Agir pour l’Environnement est sans doute le plus intéressant. D’une part en raison de sa proximité temporelle avec le référendum du 26 juin, mais aussi parce qu’il se déroule sur trois régions : Bretagne, Pays de la Loire et Poitou-Charentes, ce qui représente grosso-modo la zone de chalandise potentielle. Le tableau ci-dessous représente les résultats :

Tableau 1 : Synthèses des réponses globales à la question de l’adhésion à la construction de l’Aéroport de Notre-Dame des Landes

Les résultats du sondage parlent d’eux-mêmes. A la question de l’adhésion à la construction du nouvel aéroport, le « oui » n’est majoritaire dans aucune région et dans seulement deux départements sur treize (la Loire-Atlantique et la Mayenne). A l’inverse le « non » représente au moins 50 % des sondés dans deux régions (Bretagne et Poitou-Charentes) et dans huit départements sur treize. Autre fait intéressant, aucun des quatre départements limitrophes (Morbihan, Ille-et-Vilaine, Maine-et-Loire et Vendée) de La Loire-Atlantique ne voit le « oui » majoritaire, avec un caractère très marqué notamment en Vendée, s’englobant dans un rejet plus franc au sud de Loire. Nous y reviendrons.

Les résultats du scrutin semblent confirmer cette dernière tendances (51,08 % pour le « oui ») avec une tendance géographique très marquée de la répartition du « oui » au nord de la Loire à l’inverse du sud

Répartition du « oui » par commune lors du référendum du 26 juin 2016[6]

Donc avec un périmètre géographique qui ne permet ni de demander l’avis des principaux concernés, qu’ils soient financeurs ou simples usagers du futur aéroport, et qui a probablement joué sur les résultats, la légitimité démocratique d’un tel référendum peut donc être clairement posée. Mais au-delà de sa légitimité, la forme référendaire était la meilleure façon de trancher la question ?

 

De la pertinence du référendum

Nulle volonté dans cette affirmation de remettre en cause l’essence même du référendum qui reste, selon nous, l’un des éléments essentiels de l’esprit démocratique de la Vème république et l’un des outils les plus efficaces de démocratie directe. Mais interrogeons-nous : le référendum est-il un outil adapté pour se prononcer sur un projet d’aménagement du territoire ?

Vous vous en doutez, nous répondrons par la négative. Au risque de nous répéter, permettez-nous de reprendre quelques éléments précédents pour appuyer notre propos.

Nous l’avons vu, les résultats du vote et les sondages montraient une adhésion plus faible au sud de la Loire. Si nous appuyons autant sur cette limite géographique, c’est qu’elle est, selon nous, un des principaux facteurs d’explication de cette disparité géographique.

Pour ceux qui ne seraient pas coutumiers de Nantes, il faut rappeler que si Nantes Atlantique est aujourd’hui au sud de la Loire, le projet de Notre Dame de Landes le faisait passer au nord du fleuve royal. Or il y a deux choses où Nantes surpasse Rennes : le football et les embouteillages. Tenter de traverser le pont de Cheviré en heure de pointe ou lors d’un week-end de départ en vacances vous laissera probablement largement le temps de méditer sur le sens de votre existence ou de lire « Guerre et Paix » deux fois.

Vous imaginez donc bien qu’un tel transfert ne serait pas sans conséquence pour les usagers Sud-Loire, surtout que le projet d’un nouveau pont sur le fleuve,  autre projet local au long cours, tarde à se concrétiser[7].

Si un tel fait peut jouer sur le résultat d’un vote, la question de passer par le référendum pour trancher peut donc être remise en cause, le choix de l’électeur n’allant pas vers l’intérêt collectif mais vers ses intérêts propres. Or la politique d’aménagement du territoire, quand elle est bien menée, doit justement viser l’intérêt collectif, en répartissant au mieux l’activité économique ou en dotant correctement en infrastructures toutes les régions. Quel intérêt alors d’interroger le citoyen si son choix se base sur des raisons potentiellement contraires à la volonté politique même du projet sur lequel on l’appelle à se prononcer ? Pour les derniers dubitatifs, posez-vous la question suivante : quel serait votre vote si un référendum avait lieu pour l’implantation d’une ligne LGV, d’une centrale nucléaire ou d’un site de traitement des déchets à quelques kilomètres de votre domicile ? Nous pouvons d’ailleurs légitiment penser que c’est ce qui a motivé le fort rejet dans les communes bordant le projet. A titre d’exemple, le « non » représentait près de 74 % des votes à Notre-Dame des Landes avec une participation parmi les plus fortes du département[8]. Sans aller, plus loin dans notre démonstration, pour ne pas empiéter sur un domaine dépassant nos compétences, le recours au référendum semble malvenu dans ce cas.

A noter que ce référendum constitue un fait unique dans notre histoire démocratique : jamais en France, les électeurs n’avaient eu à se prononcer sur un projet de ce type tant sur le plan local ou national. Le gouvernement avait dû ainsi créer la possibilité d’un tel scrutin par ordonnance[9].

On pourrait alors s’interroger sur la meilleure manière d’intéresser le citoyen à la décision sur les grands projets d’infrastructure. Nous rappellerons qu’un tel processus existe aujourd’hui : l’enquête publique[10], qui précède la déclaration d’utilité publique. Mais la procédure n’est pas exempte de tout reproche. Elle reste souvent trop tardive par rapport à la vie du projet (elle arrive alors que le projet est largement défini) et ne permet que des corrections à la marge du projet quand ce dernier n’est pas abandonné à l’issue du processus… Plus que le référendum, un processus d’enquête publique plus efficient jouerait mieux la carte démocratique. Nous pourrions par exemple imaginer une phase plus en amont, capable d’infléchir la stratégie d’un projet. Dans le cas de Notre-Dame-des-Landes, cela aurait permis d’intégrer plus tôt les éventuelles alternatives au projet, ce qui aurait peut-être faciliter son acceptation. A ce titre, il s’agira d’être vigilant sur les conséquences de la dématérialisation de l’enquête publique depuis 2019 qui pourrait constituer un net recul sur le sujet[11](restriction du débat public en passant du « physique » au numérique, question de la fracture numérique qui ne garantit pas l’accès à tous les citoyens).

Mal défini et inadapté, la consultation de Notre-Dame des Landes apparait donc comme un mauvais exemple de démocratie directe. En tout cas, nous espérons vous avoir démontré, au travers des deux arguments développés, que ne plus citer le référendum de Notre-Dame-des-Landes à la prochaine entorse démocratique parait plus que judicieux. A défaut de compléter votre démonstration, vous rendrez un peu le sourire à un souverainiste. C’est déjà ça !

Antoine M.


[1] La Collectivité Européenne d’Alsace se superpose aux deux départements alsaciens (Haut et Bas-Rhin) en reprenant leurs compétences, plus quelques-unes supplémentaires (promotion du bilinguisme, coopération transfrontalière, gestion des actions relevant du Fonds social européen…=

[2]https://www.lexpress.fr/actualite/politique/notre-dame-des-landes-ce-qu-il-faut-savoir-sur-la-polemique_1188171.html

[3] Le site internet du Syndicat a aujourd’hui disparu mais le compte Twitter SMA Grand Ouest rappelle ce fat

[4] https://www.nantes-citoyennete.com/wp-content/uploads/2015/06/150610_Diaporama.pdf

[5] https://www.agirpourlenvironnement.org/communiques-presse/aeroport-de-nddl-un-sondage-ifop-confirme-le-rejet-du-projet-3967/

[6] https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2016/06/27/referendum-sur-notre-dame-des-landes-le-non-l-emporte-essentiellement-autour-du-futur-aeroport_4958873_4355770.html

[7] https://www.20minutes.fr/nantes/2492795-20190409-nantes-question-nouveau-franchissement-loire-toujours-derive

[8] https://www.loire-atlantique.gouv.fr/Politiques-publiques/Amenagement-du-territoire-urbanisme-habitat-construction/Resultats-de-la-consultation-Nddl

[9] https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000032439006

[10] https://www.collectivites-locales.gouv.fr/enquetes-publiques

[11] https://lareleveetlapeste.fr/le-gouvernement-supprime-les-enquetes-publiques-environnementales-contre-lavis-des-citoyens/

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